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MODIFICATION DU CONTRAT DE TRAVAIL ET CHANGEMENT DES CONDITIONS DE TRAVAIL : UNE JURISPRUDENCE PRAGMATIQUE A VISAGE HUMAIN
Il est de jurisprudence constante que si lemployeur ne peut imposer à un salarié une modification de son contrat de travail, ce salarié ne peut refuser un changement de ses conditions de travail sans se mettre en faute vis-à-vis de son employeur. Cette règle établie rencontre toutefois des difficultés dans sa mise en application pratique, notamment dans la distinction même entre modification du contrat de travail et changement des conditions de travail. Lenjeu de cette distinction est de taille puisque chacune des deux qualifications entraîne des conséquences diamétralement opposées en cas de refus du salarié. En effet, selon la qualification retenue, le salarié pourra ou non faire lobjet dun licenciement . Dès lors, la Cour de Cassation tente dapporter des points de repère objectifs pour établir la distinction exacte entre : F la modification du contrat de travail, F le changement des conditions de travail (I). Cependant, il est vite apparu que si cette approche permettait une meilleure distinction, elle durcissait la position de la Cour de Cassation qui devait constater les cas de refus de changement de conditions de travail par le salarié, et donc, par conséquent, les licenciements pour faute grave. La Cour Suprême sest donc vue dans lobligation de modérer les conséquences dun refus du salarié en introduisant dans son analyse une certaine subjectivité (II).
Il est de jurisprudence constante quune modification dun élément essentiel du contrat de travail est celle qui affecte la nature même des fonctions du salarié. Toutefois, tous les changements dattribution ne sont pas constitutifs dune modification du travail, certains nétant que de simples aménagements de fonctions que le salarié ne peut refuser. Cest dans ces conditions que la Cour de Cassation, dans un arrêt très récent, en date du 10 octobre 2000 (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 10 octobre 2000, n°98-41.358) est venue distinguer les deux situations en écartant les éléments subjectifs danalyse. Un cadre, fondé de pouvoirs au sein du département développement de la direction " investissements " dune société dassurance, sest vu informé par sa direction sa mutation à la direction " gestion département vie des immeubles ". Ce cadre devait refuser ladite mutation, et cest dans ces conditions quil fut licencié pour faute grave. Le licenciement a été contesté, au motif dune modification du contrat de travail. La Cour de Cassation a donné gain de cause à lemployeur en retenant que la mutation envisagée ne constituait quun changement des conditions de travail. Pour statuer ainsi, la Cour de Cassation retient que le rapport entre la nouvelle tache et la qualification du salarié, le maintien de la rémunération, de la qualification et celle du niveau hiérarchique, ainsi que le degré de subordination à la direction générale étaient conservés, malgré la mutation. On peut constater que la Cour de Cassation retient des critères de distinction que lon peut qualifier de classique, mais dégage un nouveau critère, savoir celui du degré de subordination à la direction générale. Ainsi, il apparaît que retirer une tache à un salarié et lui en confier une nouvelle, dès lors que cette dernière coïncide avec sa qualification, nest pas une modification du contrat de travail mais un simple changement de ses conditions. Il en est de même pour le maintien du niveau de salaire, de la qualification et du niveau hiérarchique. On peut toutefois préciser, relativement au maintien de la qualification et du niveau hiérarchique que lon considère les données effectives et non celles qui vont être données par lemployeur. Mais le critère qui retiendra lattention est surtout celui dégagé pour la première fois par la Cour de Cassation, savoir, le maintien dun même degré à la direction générale. Deux interprétations sont alors possibles : La première interprétation, que lon pourrait qualifier de littérale, reviendrait à admettre que le salarié préservant son rang, son degré dans la hiérarchie, il ny a pas alors de modification du contrat de travail. Une telle interprétation constituerait alors un revirement de jurisprudence difficilement justifiable. En effet, il est de jurisprudence constante que le seul changement de structure de lentreprise, se traduisant par un rattachement hiérarchique nouveau, ne modifiait pas à lui seul le contrat de travail. Qualifier le rattachement hiérarchique comme étant un élément essentiel du contrat de travail paraît très hasardeux, ce dautant plus que dans les faits, cela paralyserait lorganisation des rapports hiérarchiques, et en conséquent, lorganisation des entreprises. Lautre interprétation fait appel à largumentation développée par le cadre. Celui-ci soulevait que les budgets dont il était responsable dans son ancienne affectation étaient sans commune mesure avec ceux dont il aurait dû assumer la responsabilité dans le nouveau département. Il soulevait également que le poste était moins intéressant à ses yeux, et que celui-ci faisait moins appel aux aptitudes quil avait pu développer. La Cour de Cassation a retenu que le contrat navait pas été modifié lorsque le degré de subordination navait pas changé. En effet, le poste comportait toujours la responsabilité dun budget, lencadrement du personnel, des taches traditionnellement imparties à des personnes titulaires de la même qualification. Ce poste est peut-être amoindri, mais il nest pas " vidé de sa substance ", il ny a donc dès lors pas modification du contrat de travail. Comme on le voit, tout élément subjectif a été exclu de lanalyse, celle-ci reposant uniquement sur des critères objectifs. On peut rapprocher cet arrêt dune série de décisions relatives aux changements de lieux et aux changements dhoraires. On peut notamment rappeler larrêt de la Cour de Cassation en date du 20 octobre 1998 (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 20 octobre 1998, n°96-40.757), selon lequel il ny a pas de modification du contrat de travail dès lors que le déplacement du lieu de travail se situe dans le même secteur géographique. Cet arrêt nest pas isolé et il est possible de le rapprocher dune décision de la Cour de Cassation du 22 février 2000 (Cour de Cassation, Chambre Sociale 22 février 2000, n°97-44.349) selon laquelle un changement de la répartition de lhoraire de travail à lintérieur de la journée ou de la semaine ne constitue pas une modification du contrat de travail.
Si linterprétation objective dans la distinction entre modification du contrat de travail et changement des conditions de travail permet une meilleure visibilité et prévisibilité tant pour lemployeur que pour lemployé, elle peut savérer parfois fort sévère et générer certaines difficultés. En effet, un salarié habitué à travailler dans des conditions déterminées et en considération desquelles il a adapté les impératifs de sa vie privée, peut ne pas apprécier le choix qui lui est laissé entre remettre en cause ces conditions ou bien quitter lentreprise, et ce, sans aucune indemnité, le refus de sa part étant constitutif dune faute grave. Cest dans ces circonstances que la Cour de Cassation a adopté une position teintée dun très fort degré de subjectivité quant à lappréciation des conséquences dun tel refus. En effet, deux arrêts, en date du 17 octobre 2000 viennent préciser que refuser un changement dhoraires pour un salarié est effectivement constitutif dune faute, mais que cette faute nest pas forcément grave. La première affaire concernait une aide comptable dune clinique qui, pendant presque 20 ans, avait travaillé du lundi au vendredi. Lemployeur avait alors décidé, et ce, sans que soit augmenté le temps de travail, quun roulement serait assuré un samedi matin sur deux. La salariée avait refusé, croyant à une modification de son contrat de travail. La Cour de Cassation a alors considéré que le contrat nexcluant pas expressément le travail le samedi matin, il ne sagissait pas dune modification du contrat de travail, mais dun simple ajustement rendu possible au travers de lexercice du pouvoir de direction de lemployeur (Cour de Cassation Chambre Sociale, 17 octobre 2000, n°98-42.264). Cet arrêt, qui fait une large place à lappréciation objective décrite plus haut rajoute toutefois que le refus est certes fautif mais quil ne constitue pas une faute grave eu égard à lancienneté de la salariée. A ce titre, celle-ci devait donc se voir verser ses droits à indemnités de licenciement. La décision est donc fondée uniquement sur un critère subjectif, à savoir, lancienneté du salarié dans lentreprise. La seconde affaire était relative à une secrétaire employée à temps partiel, salignant toutefois sur lhoraire collectif de travail. Lemployeur, qui permettait une pause déjeuner à midi était revenu sur cet usage. La salariée en question, qui soccupait de ses enfants pendant cette pause, ce qui constitue une contrariété pour elle, a invoqué une modification de ce contrat et refuse donc de se soumettre aux nouvelles conditions imposées par lemployeur. La Cour de Cassation considère quil ny a pas modification de son contrat, mais simplement une modification des conditions de travail, mais que toutefois, le refus, bien que fautif, nest pas constitutif dune faute grave, et quà ce titre, il nentraîne pas la privation de lindemnité de licenciement (Cour de Cassation Chambre Sociale, 17 octobre 2000, n°98-42.177). Là aussi, la décision de la Cour de Cassation nest motivée que par la contrariété que la modification entraînait pour la salariée, ce qui laisse donc place à une grande part de subjectivité. Au vu de ces décisions, il apparaît que lemployeur pourra prévoir avec beaucoup plus de sécurité si la mesure envisagée constitue ou non une modification du contrat de travail. Il devra toutefois tenir compte avec grand soin de la situation personnelle du salarié et du préjudice qui pourrait être ainsi causé. Il semble que lon soriente vers une plus grande individualisation dans lappréciation des conséquences du refus, ce qui ne manquera pas de provoquer dimportants problèmes pratiques. pour Lexilis-Europe, Maître Françoise SIBAUD Avocat au Barreau de Paris BP 270 75770 Paris Cedex 16 ( : 01.53.64.24.24.. : : 01.40.67.90.40. Portable : 06.88.15.89.45.
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