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La synergie des professionnels du Droit au service de l’entreprise et des particuliers

 

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La Bourse , bon outil, mauvais maître


par Jean Matouk , Professeur d’Université honoraire



    Depuis près de vingt ans maintenant, une part plus importante du financement des plus grosses entreprises passe par le marché des titres. On peut citer au moins quatre causes à cette « titrisation » de la finance : l’effort des professionnels de la Bourse , à commencer par les banques d’investissement américaines, pour attirer à eux un supplément d’activité et de capitaux, d’ou le développement des OPCVM , la baisse de longue durée des taux depuis 1982 , succédant à une hausse aussi longue, qui a poussé à la hausse les cours des titres , exposant des plus values rapides et incitatives pour les épargnants, la vague des privatisations et la publicité qui les accompagnait entraînant une masse de petite épargne vers le marché, enfin la taille croissante des besoins de financement des firmes en cours de mondialisation, représentant des risques trop gros pour les banques , même en pool et pour lesquels les firmes cherchaient évidemment le moindre coût d’intermédiation.

Cette montée en puissance de la finance de marché a fait revenir au premier plan de la scène économique les fluctuations de la Bourse, lesquelles ont surpris et souvent « douché » les nouveaux opérateurs . Régulièrement, selon l’inévitable mécanique de la Bourse, ces fluctuations présentent une amplitude plus importante ; des « bulles » se terminent en « krachs » : 1987, 1993, 2001. Alors ce canal de financement est critiqué. On le compare à un casino . Pourtant l’outil reste utile. A condition que ses utilisateurs n’en fassent pas un maître ce qu’il ne saurait être.

Il est sain à de multiples égards que les entreprises puissent trouver des fonds propres , et des fonds d’emprunts obligataires, sur le marché et que les apporteurs de capitaux prenant leur risque en sachant où va leur épargne. Pour que ce marché primaire fonctionne , il faut un marché secondaire ou les porteurs de titres puissent retrouver la liquidité. Sur ce marché secondaire les fluctuations de cours sont normalement douces ; la Bourse n’est heureusement pas efficiente du point de vue de l’information ; vendeurs et acheteurs ne cherchent pas l’information avec la même intensité, ne l’exploitent pas tous avec les mêmes rapidité et compétence, sont plus ou moins averses au risque. Leurs intervention , après une information nouvelle, s’étendent donc sur plusieurs bourses, ce qui lisse les fluctuations. De plus , régulièrement, la publication des analyses fondamentales ramène le cours vers la valeur intrinsèque de la société à ce moment. A certaines périodes cependant , les informations et les analyses se contredisent, deviennent insaisissables pour le détenteur de titres, surtout le petit. Alors intervient le mimétisme, qui conduit aux bulles et au krachs. Seuls ceux qui, bien imprudemment , ont investi en bourse , une part de leur revenu « permanent » peuvent en souffrir. Il suffit aux autres d’attendre. Ces grands mouvements ne sont pas mortels et, contrairement aux affirmations de tous les cassandres, n’ont guère d’impact sur l’économie réelle. La bourse est un bon anticipateur : fondée sur la capitalisation des profits anticipés, elle annonce les ralentissement ou les accélérations de l’économie ; elle ne les provoque pas.

Par contre , depuis quelques années , l’usage qu’en font les dirigeants d’entreprises est souvent pervers. Ils en font un maître , ce qu’elle ne peut pas être sans dommages. La perversion vient d’une fausse conception de la « valeur ». Toute entreprise a une valeur intrinsèque, que l’on peut calculer par son actif net réévalué ou ses rendements capitalisés. Mais quand un dirigeant promet de « créer de la valeur pour l’actionnaire »,ce n’est pas cette conception de la valeur qu’il vise ; c’est la plus value boursière ; il promet une plus value régulière , qui deviendrait une sorte de revenu. Or une entreprise ne peut distribuer que la valeur qu’elle créé dans son exploitation. Ce que peuvent et devraient garantir les chefs d’entreprises , ce sont des dividendes réguliers , plus élevés qu’aujourd’hui , incluant une prime de risque par rapport à l’actif sans risque. Prenant le faux engagement de créer de la valeur sur les cours de Bourse, ils sont ensuite amenés à deux perversions de gestion . Ils fixent d’abord des taux de rendement interne ou d’actualisation, complètement déconnectés du taux d’intérêt (aujourd’hui 10% ou 15%alors que le taux est à 5%) donc irréalistes, ce qui les conduit à refuser de nombreux investissements , donc à freiner la croissance ou à délocaliser. Dans la même logique ils utilisent l’annonce de plans de licenciement massifs pour soutenir , si besoin est, le cours de leur action. Avant même l’impact de la réalisation des licenciements , ces annonces suffisent à diffuser un mauvais « climat des affaires » et , plus profondément à déconsidérer le capitalisme, puisqu’ils sont annoncés alors même que les firmes exposent encore des profits importants . Ajoutons que la « sicavisation » des bourses réduit l’horizon de gestion aux résultats du trimestre, ce qui est d’une évidente incohérence avec la dimension des outils industriels modernes.

Mais la Bourse devient aussi un mauvais maître dans les relations financières internationales, entre pays développés et pays neufs. Au lieu de poursuivre et amplifier les transferts de fonds privés et publics, vers ces derniers par le canal bancaire , ces transferts ont été peu à peu titrisés, les pays neufs étant sommés , pour être financés, d’organiser des marchés boursiers à l’image de ceux des pays développés, notamment pour y réaliser leurs privatisations. A ceux qui l’ont fait a été attribuée la « dignité » de pays « émergents ». Pourtant, leurs bourses croupions sont illiquides, car elles n’ont pas d’assise interne ; elles sont d’une volatilité déraisonnable. Au moindre retrait de porteurs étrangers, c’est la plongée de l’indice , avec transmission au marché des devises et crise financière . Des pays qui ont, plus que d’autres, besoin d’un horizon économique long, le voient raccourci par cette nouvelle forme de dictature financière. Il est temps , à tous égards, de ramener la Bourse à ce qu’elle est , un outil utile , comme l’est la banque, mais qui ne peut diriger l’économie. On peut dire , étendant ce que disait de Gaulle avant-hier pour la France, que les politiques économiques du monde ne doivent pas se faire aux corbeilles.

M. le Professeur Jean Matouk, pour Lexilis Europe
Auteur de nombreux ouvrages
en anthropologie économique
Courrier électronique: jean.matouk@wanadoo.fr

 

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 Dernière modification : 13 août 2004