|
|
MONDIALISATION ET ETAT DE DROIT
Dans
cette jungle des affaires où règne la loi du plus fort (ou presque) tous les
coups sont permis, faute de gendarme efficace. Mais, plutôt que d'organiser de
modernes "jacqueries" à la José BOVE (qui a tout de même su faire
du roquefort... un fromage !), il convient de tirer parti des incontestables
avantages de la mondialisation tout en s'efforçant d'en limiter les inconvénients,
qu'il s'agisse de rédiger dés "codes de bonne conduite" dans les
entreprises (relatifs à la préservation de l'environnement, à l'interdiction
du travail des enfants ou à la lutte contre la corruption) ou d'édicter des
normes juridiques - étatiques et internationales - susceptibles de réguler la
globalisation. La
montée en puissance des Etats de droit est aujourd'hui arrêtée par la
mondialisation, le rôle des politiques régressant même considérablement face
à ces nouveaux acteurs que sont les directeurs de banques centrales, les juges,
les médias, les ONG ou encore les experts scientifiques (biotechnologies, nucléaire..
etc...). La gouvernance des financiers tend à réduire le monde à une
marchandise alors que les Etats, qualitativement, "dépérissent" au
profit, non de l'Internationale des prolétaires, mais des multinationales
capitalistes, avant-gardes éclairées de la globalisation dans le
"Meilleur des mondes", enfin réalisé, du moins pour quelques uns. Dans
ce contexte, le constitutionnalisme prend également l'eau car il se trompe de
cible, protégeant de mieux en mieux les citoyens contre l'État, la puissance
publique, alors même que celle-ci est de moins en moins bien armée, et
se révélant inapte à contrôler les puissances privées, internes ou
internationales. Par exemple, que peuvent faire les dérisoires "lignes
Maginot juridiques" érigées par chaque Etat en matière d'OGM, de clonage
ou d'Internet ? Pourtant,
bien encadrée par le droit, la mondialisation peut être aussi une source de
progrès. Cela passe par un dépassement des souverainetés étatiques à
travers l'universalisme des droits de l'homme, ainsi que par celui de la
marginalisation actuellement subie par quelques-uns au profit d'une
globalisation régulée.
Le "global", processus de standardisation imposée, ne doit
pas, en effet, être confondu avec "l'universel". Car, si la
mondialisation économique est, par définition, globale, la démocratie et l'État
de droit restent loin d'être sur cette planète la réalité la plus partagée.
Il faut donc militer pour qu'ils se répandent partout et ne soient plus considérés
comme des principes "occidentaux" car, par delà les différences de
culture, l'homme est "un" et ses droits doivent tendre à
l'universalité. Pour cela, il convient d'internationaliser les exigences de l'État
de droit ainsi que la production de normes impératives, la globalisation ne
pouvant entraîner qu'un recul de la primauté des souverainetés nationale.
Cependant, certaines interventions (militaro) humanitaires récentes ont fait
bien peu de cas de la souveraineté des Etats concernés, via un élargissement
progressif de la notion de "menace contre la paix" et des décisions
du Conseil de sécurité de l'ONU exemptes de tout contrôle. Là encore, Etat
de droit et principes humanitaires semblent à éclipses, s'adaptant aux intérêts
de la finance internationale, ressuscitant parfois les "interventions
d'humanité" de jadis et sanctionnant les peuplés sous couvert de punir
les dictateurs ! Ce
qui est vrai pour les droits civils et politiques l'est tout autant pour les
droits économiques et culturels. Et, si la mondialisation semble pouvoir se
concilier avec l'Etat de droit, elle devrait en revanche avoir raison de l'Etat-nation
uniforme à la française. La globalisation suscite en effet des tentatives de
repli identitaire, avec ce que FREUD appelait "le narcissisme de la petite
différence". Heureusement, notre jacobinisme "souverainiste" est
menacé tant par la (trop lente) construction européenne que par les exigences
de la "République plurielle", formé de citoyens qui ne sauraient être
de simples "clones" juridiques, mais des "hommes situés",
avec leurs accents, leurs cultures. II est d'ailleurs piquant d'observer
ceux-là mêmes qui rejettent à l'intérieur de l'Hexagone tous les
particularismes identitaires, religieux (foulard islamique dans les écoles),
linguistiques ou culturels, au nom d'une spécificité à vocation universelle
quasi messianique devenir à l'extérieur les chantres de "l'exception
culturelle", du "service public à la française", voire des
traditions locales relatives à la chasse ou à la "bouffe" contre les
directives bruxelloises ! La République ne se conciliera donc avec la
mondialisation que si elle sait être culturellement plurielle et accepte
d'abandonner des parts de plus en plus grandes de souveraineté à cet "Etat
de droit régional" qu'est l'Europe en devenir. Seule cette acceptation de
la diversité pourra d'ailleurs nous préserver du communautarisme et de l'éclatement
des Etats au profit des ethnies.
Ce n'est pas de moins de marché dont nous avons besoin, mais de davantage de règles
de droit et pour tout le monde. Car, si les pays développés se préoccupent de
la globalisation, les autres tentent pour leur part plutôt d'éviter la
marginalisation de leur économie. Pour les y aider, sans doute faut-il
passer de la globalisation de l'économie à celle de la politique : moins en élaborant
des normes sociales et environnementales générales (des discriminations
positives en faveur des plus pauvres demeurant nécessaires) qu'en créant les
moyens propres à leur permettre d'accéder au marché et en améliorant l'aide
au développement. Dès lors, on voit combien est erronée l'attitude consistant
à réclamer une régulation de la mondialisation et à s'attaquer en même
temps aux principales instances internationales de régulation, à commencer par
l'OMC dont les mérites sont sous-estimés. Enfin, la société civile
internationale doit s'organiser en contre-pouvoirs pour dialoguer, contrôler
et proposer des solutions alternatives. Au
total, ce n'est pas la mondialisation qui est condamnable, mais une
certaine mondialisation échevelée, échappant à toute règle et à toute
sanction. Même les acteurs du marché ont besoin de règles et de régulation,
y compris internationales. Face à la mondialisation de l'économie, mais aussi
de la spéculation, des pollutions, du crime organisé ou du terrorisme, on a
donc plus que jamais besoin d'Etats forts coopérant entre eux, d'une
"gouvernance" à la fois globale et plurielle apte à régler d'éventuels
conflits selon des modes alternatifs (arbitrage) ou plus classiques. Au-delà
"des biens", qui relèvent du marché, on doit retrouver "le bien
commun" de l'humanité, pays du sud compris, avec des Etats de droit
reconfigurés, n'ayant certes plus le monopole de l'élaboration des normes mais
demeurant des lieux privilégiés de légitimité démocratique. Ainsi, la
mondialisation permettra d'élever le niveau de vie global et, grâce au droit,
le niveau de protection des libertés, mais elle sera également capable de
rapprocher les hommes, de les fédérer, dans le respect de leurs diversités.
"On n'espère jamais assez de l'unité croissante du monde, notait le père
TEILHARD de CHARDIN,... c'est Dieu lui-même qui nous appelle à travers le
processus d'unification de l'Univers". Dominique TURPIN |
Pour toute question ou remarque concernant Lexilis Europe, envoyez un email à
francoise.sibaud@wanadoo.fr
|