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LA CONTESTATION DU REFUS D’ASILE TERRITORIAL SUR LE FONDEMENT DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION EUROPENNE DES DROITS DE L’HOMME
L’asile territorial institué par l’article 13 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 sur le droit d’asile modifiée est, selon le texte, ouvert à l’étranger qui établit que sa vie ou sa liberté est menacée dans son pays ou qu’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 – interdiction de la torture - de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CEDH).
Si en théorie ce texte ouvre une opportunité nouvelle à tout étranger qui fuit son pays parce qu’il y est menacé d’obtenir l’asile en France, dans la pratique, en revanche, la porte est très étroite et plus d’un étranger qui aura fait sa demande d’asile territorial en justifiant des meilleures raisons de fuir son pays se sera vu refuser la mesure auquel ce texte semblait lui donner droit.
C’est alors que se pose la question du recours contre le rejet de la demande d’asile.
La question est d’autant moins évidente que la décision de rejet n’est pas motivée (1) et qu’aucune voie de recours contre cette décision n’a d’effet suspensif (2).
1er moyen : l’absence de motivation des décisions de rejet de l’asile territorial
En vertu de l’alinéa 2 de l’article 13 de la loi du 25 juillet 1952 sur le droit d’asile, « les décisions n’ont pas à être motivées ».
Et en effet, elles ne le sont pas.
Les décisions de rejet revêtent systématiquement la même forme. Elles sont transmises par un courrier de la Préfecture du Département devant laquelle la demande a été formulée. La décision ministérielle, après avoir rappelé l’objet et le fondement de la demande, énonce sèchement : « il ressort de l’examen attentif de votre dossier et après avis du ministre des affaires étrangères que vous ne pouvez pas prétendre au bénéfice de l’asile territorial ». Suivent les indications relatives aux voies de recours, gracieux et juridictionnel.
Tous ceux qui ont un jour reçu un tel courrier après avoir eu, au moment du dépôt de leur demande, à expliquer et présenter les preuves des risques auxquels ils ont tenté d’échapper en se réfugiant en France, par écrit tout d’abord, puis au cours d’un entretien dans les bureaux de la Préfecture, ont ressenti le même sentiment d’incompréhension : balayées les persécutions, balayées les menaces émanant de tels groupes armés, balayée la menace de prison pour refus de service militaire… Les services de la Préfecture ont-ils seulement entendu ce qui leur était dit ? Nul ne le sait, puisque la décision n’est pas motivée.
Si le pouvoir souverain et discrétionnaire de l’Etat d’octroyer ou de refuser l’asile aux étrangers sur son territoire ne saurait être contesté du point de vue du droit international public, c’est-à-dire dans les relations entre Etats, il est en revanche plus que critiquable dès lors qu’il est confronté aux droits d’un individu, en l’occurrence le demandeur d’asile.
Les droits de la personne s’accommodent de façon générale assez mal des pouvoirs discrétionnaires et, en particulier lorsque ces pouvoirs sont déclinés au détriment de l’individu par le refus du bénéfice d’un de ses droits, l’obligation de motivation constitue le dernier rempart contre l’arbitraire.
Le droit administratif français a consacré cette obligation de motivation dans l’article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs, qui reconnaît le droit des personnes physiques et morales d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent et énonce que doivent, en particulier, être motivées les décisions qui restreignent l’exercice des libertés publiques.
Du point de vue de ce seul texte, la décision de rejet d’une demande d’asile territorial, en tant que décision individuelle défavorable, devrait être motivée, mais la loi du 11 juillet 1979 ne saurait être la seule prise en compte.
En effet, la dispense de motivation de l’alinéa 2 de l’article 13 de la loi du 25 juillet 1952 s’impose par rapport à la loi de 1979 tant en qualité de lex specialis qu’en qualité de loi postérieure, puisque cet article résulte en réalité dans sa version actuelle de la modification apportée par la loi n° 98-349 du 11 mai 1998.
C’est pourquoi l’obligation de motivation de la loi de 1979 ne saurait être utilement invoquée pour imposer la motivation du rejet de l’asile.
Mais la loi de 1979 n’est pas le seul texte à imposer une obligation de motivation lorsque les droits fondamentaux de la personne sont en cause.
Une autre source, qui fait autorité sur la loi française en matière d’asile, est la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CEDH), qu’il conviendra d’invoquer plus utilement.
Rappelons que, en vertu de l’article 55 de notre Constitution, les traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, qu’elles soient antérieures ou postérieures à l’entrée en vigueur de la Convention. La dispense légale de motivation du rejet de l’asile devrait donc, si elle s’avérait incompatible avec les dispositions de la CEDH, être écartée.
Certes, nulle part la CEDH n’énonce expressément d’obligation de motivation des décisions défavorables émanant de l’administration.
Mais son article 13, en vertu duquel toute personne dont les droits et libertés reconnus par la Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles, apporte à la matière d’intéressants éléments de réflexion.
On pourrait se demander si cet article est applicable au rejet de la demande d’asile, dans la mesure où il n’est, a priori, pas évident d’identifier le droit ou la liberté reconnue par la Convention que ce rejet pourrait avoir violé.
Mais il faut rappeler que : - d’une part, le rejet non motivé de la demande d’asile prive le requérant de son droit de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion dans la mesure où il ignore les raisons ayant conduit au rejet de sa demande ; or, ce droit est garanti par l’article 1er du Protocole n° 7 du 22 novembre 1984 additionnel à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales entré en vigueur le 1er novembre 1988 ; - d’autre part, quelle que soit la liberté fondamentale qui a été violée, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a clairement énoncé le principe de l’autonomie de l’article 13 de la Convention, en vertu duquel « on ne saurait subordonner le jeu de l’article 13 à la condition que la Convention soit vraiment violée » (CEDH, 6 septembre 1978, aff. Klass et autres c. RFA, Série A, n° 28).
L’applicabilité de l’article 13 à la matière se trouve dès lors tout à fait justifiée.
Or, l’absence de motivation du rejet de la demande d’asile territorial prive le demandeur, s’il désire contester sur le fond la décision qui lui est opposée, de tout moyen de défendre sa cause, dès lors qu’il ignore les raisons du refus qui lui est opposé.
Aucun argument de fond ne saurait être utilement développé devant les juridictions compétentes pour contester la décision, ce qui revient à priver d’effet utile tout recours susceptible d’être intenté à l’encontre de la décision de rejet.
De même, l’absence de motivation prive le juge compétent – en l’occurrence le Tribunal Administratif – de tout élément d’appréciation pour évaluer la légalité interne de la décision attaquée.
L’absence de motivation de la décision de rejet prive ainsi le recours susceptible d’être intenté à son encontre de sa principale chance de succès.
Or, un tel recours privé de sa principale chance de succès ne saurait être considéré comme un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention.
En effet, la jurisprudence constante de la Commission Européenne des Droits de l’Homme considère que seul est effectif le recours présentant de réelles chances de succès (Comm. EDH, 6 mars 1980, req. n° 8346/78, Autriche : DR 19/230 ; Comm. EDH, 6 mars 1980, req. n° 5566-5583/72, Donnelly et autres c. Royaume-Uni : DR 4/4 ; Comm. EDH, 9 mai 1983, req. n° 9559/81, De Varga-Hirsch c. France : DR 33/158 ; Comm. EDH, 4 mai 1982, req. n° 9362/81, 9363/81, 9387/81, Van Der Sluijs et autres c/ PAYS-BAS : DR 28/212).
Par conséquent, en empêchant d’une part le requérant de contester sur le fond le rejet de la demande d’asile et en privant d’autre part le juge administratif de tout élément d’appréciation des considérations de fond ayant conduit au rejet de la demande, l’alinéa 2 de l’article 13 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile a pour effet de priver de sa principale chance de succès le recours intenté contre la décision.
Un tel recours privé de tout élément de fond permettant de contester la décision ne saurait être considéré comme un recours effectif au sens de l’article 13 de la CEDH et de la jurisprudence précitée.
L’absence de motivation du rejet de la demande d’asile a donc pour effet de priver le requérant de son droit à un recours effectif garanti par l’article 13 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales.
La contestation de la décision de refus d’asile territorial pourra donc être fondée sur l’exclusion, à titre d’exception d’illégalité, de l’application de l’alinéa 2 de l’article 13 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile en ce que cet article viole l’article 13 de la CEDH.
L’admission de ce moyen a pour résultat que le refus d’asile aurait dû être motivé et que, à défaut, il encourt l’annulation pour défaut de motivation.
2ème moyen : l’absence d’effet suspensif du recours contre le refus d’asile
Un autre moyen, également issu de l’article 13 de la CEDH, susceptible d’être développé à l’appui de la contestation du rejet de la demande d’asile territorial est l’absence d’effet suspensif des recours intentés contre cette décision.
Certes, l’absence d’effet suspensif des recours intentés contre les décisions administratives n’est pas propre à la matière du contentieux de l’asile territorial.
Il s’agit d’un principe général de procédure administrative contentieuse énoncé à l’article L. 4 du Code de Justice Administrative : « sauf dispositions législatives spéciales, les requêtes n’ont pas d’effet suspensif s’il n’en est autrement ordonné par la juridiction ».
Il en va a fortiori de même pour les recours gracieux.
Ce principe général se vérifie dans le cas du rejet de la demande d’asile territorial, comme le rappelle d’ailleurs le texte de la décision ministérielle de rejet : « Le recours gracieux ne suspend pas l’application de la présente décision. […] Le recours juridictionnel […] n’a lui non plus aucun effet suspensif ».
Il est vrai que rien n’empêche le requérant de demander la suspension de la décision de rejet qu’il conteste par le biais d’une procédure de référé suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de Justice Administrative.
Mais cette demande se heurtera systématiquement, et aussi étrange que cela puisse sembler, à un refus du juge des référés fondé sur l’absence d’urgence (Tribunal Administratif de Marseille, ordonnance de référé du 22 juillet 2003, requête n° 0305020, non publiée). L’ordonnance de rejet de la requête en référé suspension interviendra sans même que les parties aient été convoquées ni entendues, ainsi que le permet l’article L. 522-3 du Code de Justice Administrative lorsque le motif sur lequel s’appuie le rejet est l’absence d’urgence.
Ce refus paradoxal de reconnaître la situation d’urgence dans laquelle se trouve l’étranger à qui vient d’être notifié le rejet de sa demande d’asile territorial s’explique à la lumière de la jurisprudence du Conseil d’Etat pour qui l’urgence ne s’applique qu’en cas de retrait ou de refus de renouvellement d’un titre de séjour : dans les autres cas, explique le Conseil d’Etat, « il appartient au requérant de justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d’une mesure provisoire dans l’attente d’une décision juridictionnelle statuant sur la légalité de la décision litigieuse » (CE, 11 décembre 2002, n° 246526, Waled, in Dictionnaire Permanent Droit des Etrangers, Bull. 102, p. 7618).
Quelle différence le Conseil d’Etat fait-il entre la situation de l’étranger confronté à un retrait ou un refus de renouvellement du titre de séjour et celle du demandeur d’asile dont la demande est rejetée ? La nuance, délicate, tient à la remise en cause de la situation antérieure de l’étranger : dans le premier cas, l’étranger avait un titre de séjour ; dans le second cas, il n’en a jamais eu et n’a donc pas pu s’installer dans une situation qu’il avait pu, à tort, tenir pour acquise.
Le fait de se retrouver privé de tout titre de séjour et, par conséquent, en situation irrégulière en France alors que la procédure visant à l’annulation du refus d’asile est en cours devant le Tribunal Administratif ne suffit donc pas à caractériser l’urgence.
Le fait que le requérant puisse faire, à tout instant, l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière ne suffit pas non plus à caractériser l’urgence.
Le juge administratif considère « qu’eu égard à l’existence d’une procédure à caractère suspensif organisée par l’article 22 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 contre la décision de reconduire à la frontière un étranger, à l’occasion de laquelle l’intéressé est recevable à contester le refus de titre de séjour non définitif qui en constitue le fondement », la situation d’urgence n’est pas caractérisée (Tribunal Administratif de Marseille, ordonnance de référé du 22 juillet 2003, op. cit.). Autrement dit, tant que l’arrêté de reconduite à la frontière n’est pas pris, tout va bien pour l’étranger.
Mais le juge administratif feint ainsi d’oublier que l’étranger en question, outre le fait qu’il est s’expose à une reconduite à la frontière, encourt également une condamnation à un an de prison et 3 750 € d’amende en vertu des articles 5, 6 et 19 de l’Ordonnance n° 45-2658 du 02 novembre 1945.
Pourtant, le risque de se retrouver dans l’illégalité ne justifie pas davantage l’urgence selon le juge administratif.
Or, selon toute probabilité, et compte tenu des délais d’instruction et d’enrôlement des requêtes devant le Tribunal administratif, au moment où le jugement sera rendu, l’étranger aura soit fait l’objet d’une reconduite à la frontière, soit été condamné à une peine de prison pour séjour irrégulier, soit les deux.
Quelles que soient les critiques qui peuvent être formulées à l’encontre de cette jurisprudence qui condamne les requérants à l’encontre d’un refus d’asile à l’illégalité, il en résulte une impossibilité d’obtenir la suspension de la décision faisant grief le temps que la juridiction administrative se prononce sur le recours en annulation.
Or, la jurisprudence de la Commission Européenne des Droits de l’Homme sous l’article 13 de la CEDH considère que le recours effectif est celui qui est « de nature à annuler directement et intégralement la violation attaquée » : en application de cette jurisprudence, un recours qui n’a pas d’effet suspensif est inefficace lorsqu’il s’agit d’une mesure qui doit être exécutée immédiatement (Commission EDH, 5 octobre 1984, req. n° 1009/82, Barano c/ PORTUGAL : DR 40/118).
De même, dans le cas où une violation de la Convention pourrait être consommée par la mise à exécution d’une mesure d’éloignement, un recours sans effet suspensif ne peut être considéré comme efficace (Comm. EDH, 3 octobre 1975, req. n° 7011/75, Becker c/ DANEMARK, DR 4/215 ; dans le même sens concernant une mesure d’expulsion, Comm. EDH, 20 mai 1976, req. n° 7216/75, RFA : DR 5/137 ; Comm. EDH, 29 septembre 1976, req. n° 7465/76, DANEMARK, DR 7/153).
Il résulte de cette jurisprudence que l’absence d’effet suspensif du recours contre la décision de rejet de la demande d’asile territorial est contraire aux dispositions de l’article 13 de la CEDH.
La contestation de la décision de refus d’asile territorial pourra donc être également fondée sur l’absence d’effet suspensif des recours ouverts au demandeur d’asile territorial à l’encontre de la décision de rejet de sa demande, qui constitue une violation de l’article 13 de la CEDH.
Le contentieux de la contestation du refus d’asile territorial repose sur un nombre si restreint de moyens qu’aucun ne doit être ignoré. La Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales offre une fois de plus de nouvelles possibilités d’action face à des situations trop souvent considérées comme désespérées.
Cyril LAUCCIAVOCATDocteur en droitSpécialiste du droit des relations internationales 60 Cours Pierre Puget13006 MARSEILLE Tél : 04 91 54 16 29 Fax : 04 91 54 78 14
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